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Rousseau est le seul entre les maîtres de la philosophie du xviiie siècle qui se soit préoccupé sérieusement des grands mystères de l’âme humaine, et qui ait manifesté un sentiment religieux positif, — qu’il entendait à sa manière, mais qui tranchait fortement avec l’athéisme résolu de Lamettrie, de d’Holbach, d’Helvétius, de d’Alembert, comme avec le déisme mitigé de Boulanger, de Diderot et de Voltaire. — Écrasons l’infâme, — était le mot commun de cette coalition philosophique, mais tous ne portèrent pas les mêmes rudes coups au sentiment religieux considéré d’une manière générale. On ne s’étonne pas de cette hésitation chez certains esprits plus disposés que d’autres à l’exaltation et à la rêverie.

Il y a, certes, quelque chose de plus effrayant dans l’histoire que la chute des empires, c’est la mort des religions. Volney, lui-même, éprouvait ce sentiment en visitant les ruines des édifices autrefois sacrés. Le croyant véritable peut échapper à cette impression, mais avec le scepticisme de notre époque, on frémit parfois de rencontrer tant de portes sombres ouvertes sur le néant.

La dernière qui semble encore conduire à quelque chose, — cette porte ogivale, dont on restaure avec piété les nervures et les figurines frustes ou brisées, laisse entrevoir toujours sa nef gracieuse, éclairée par les rosaces magiques des vitraux, — les fidèles se pressent sur les dalles de marbre et le long des piliers blanchis où vient se peindre le reflet colorié des saints et des anges. L’encens fume, les voix résonnent, l’hymne latine s’élance aux voûtes au bruit ronflant des instruments, — seulement prenons garde au souffle malsain qui sort des tombes féodales où tant de rois sont entassés ! Un siècle mécréant les a dérangés de l’éternel repos, — que le nôtre leur a pieusement rendu.