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vous devine, lui dit-elle à l’oreille ; n’est-ce donc pas assez que le souvenir de ce qu’on aime ?

Ensuite, elle ordonna de reprendre la musique profane. Peu à peu la lumière revint, et, après quelques moments de calme, on entendit un bruit comme si le parquet s’abîmait. Il s’abaissa presqu’en entier et fut bientôt remplacé par une table somptueusement servie. Les dames s’y placèrent. Alors entrèrent trente-six génies de la vérité habillés en satin blanc : un masque dérobait leurs traits. Mais à l’air leste et empressé avec lequel ils servaient, on pouvait imaginer que les êtres spirituels sont bien au-dessus des grossiers humains. Vers le milieu du repas, la grande maîtresse leur fit signe de se démasquer, alors les dames reconnurent leurs amants. Quelques-unes, fidèles à leur serment, allaient se lever. Elle leur conseille de modérer ce zèle en observant que le temps des repas était consacré à la joie et au plaisir. On leur demande par quel hasard ils se trouvaient réunis. Alors on leur expliqua que, de leur côté, on les initiait à certains mystères ; que, s’ils avaient des habits de génie, c’était pour montrer que l’égalité est la base de tout ; qu’il n’était pas extraordinaire de voir trente-six cavaliers avec trente-six dames ; que le but essentiel du grand Cagliostro était de réparer les maux qu’avait causés la société, et que l’état de nature rendait tout égal.

Les génies se mirent à souper. Vingt fois la mousse pétillante du vin de Sillery jaillit au plafond. La gaîté redouble, les épigrammes arrivent ; les bons mots se succèdent, la folie se mêle aux propos, l’ivresse du bonheur est peinte dans tous les yeux, les chansons ingénues en sont l’interprète, d’innocentes caresses sont permises ; il se glisse un peu de désordre dans les toilettes ; on propose la danse, on valse plus qu’on ne saute ; le punch