Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/273

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

niais ; un philosophe n’est pas fâché de rencontrer un prophète.

Vous, monsieur de Condorcet, vous expirerez étendu sur le pavé d’un cachot, vous mourrez du poison que vous aurez pris pour vous dérober au bourreau ; du poison que le bonheur de ce temps-là vous forcera de porter toujours sur vous. »

Grand étonnement d’abord ; mais on se rappelle que le bon Cazotte est sujet à rêver tout éveillé, et l’on rit de plus belle.

« M. Cazotte, le conte que vous faites ici n’est pas si plaisant que votre Diable amoureux ; mais quel diable vous a mis dans la tête ce cachot, ce poison et ces bourreaux ? Qu’est-ce que tout cela peut avoir de commun avec la philosophie et le règne de la raison ?

— C’est précisément ce que je vous dis : c’est au nom de la philosophie, de l’humanité, de la liberté, c’est sous le règne de la raison qu’il vous arrivera de finir ainsi, et ce sera bien le règne de la raison, car alors elle aura des temples, et même il n’y aura plus dans toute la France, en ce temps-là, que des temples de la Raison.

— Par ma foi, dit Chamfort avec le rire du sarcasme, vous ne serez pas un des prêtres de ces temples-là.

— Je l’espère ; mais vous, monsieur de Chamfort, qui en serez un, et très digne de l’être, vous vous couperez les veines de vingt-deux coups de rasoir, et pourtant vous n’en mourrez que quelques mois après. »

On se regarde et on rit encore. « Vous, monsieur Vicq-d’Azir, vous ne vous ouvrirez pas les veines vous-même ; mais, après vous les avoir fait ouvrir six fois dans un jour, après un accès de goutte, pour être plus sûr de votre fait, vous mourrez dans la nuit. Vous, monsieur de Ni-