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moi une amitié qui ne s’est jamais démentie, ni de sa part, ni de la mienne. Ce personnage, l’homme le plus extraordinaire de notre temps, était né avec un talent naturel de plus d’un genre, que le défaut d’assiette de son esprit ne lui permit jamais de cultiver. Je ne puis comparer son genre de plaisanterie qu’à celui que déploie le docteur Sterne dans son Voyage sentimental. Les saillies de Rameau étaient des saillies d’instinct d’un genre si particulier, qu’il est nécessaire de les peindre pour essayer de les rendre. Ce n’étaient point de bons mots, c’étaient des traits qui semblaient partir de la plus profonde connaissance du cœur humain. Sa physionomie, qui était vraiment burlesque, ajoutait un piquant extraordinaire à ses saillies, d’autant moins attendues de sa part, que, d’habitude, il ne faisait que déraisonner. Ce personnage, né musicien, autant et plus peut-être que son oncle, ne put jamais s’enfoncer dans les profondeurs de l’art ; mais il était né plein de chant et avait l’étrange facilité d’en trouver, impromptu, de l’agréable et de l’expressif, sur quelques paroles qu’on voulût lui donner ; seulement il eût fallu qu’un véritable artiste eût arrangé et corrigé ses phrases et composé ses partitions. Il était de figure aussi horriblement que plaisamment laid, très souvent ennuyeux, parce que son génie l’inspirait rarement ; mais si sa verve le servait, il faisait rire jusqu’aux larmes. Il vécut pauvre, ne pouvant suivre aucune profession. Sa pauvreté absolue lui faisait honneur dans mon esprit. Il n’était pas absolument sans fortune, mais il eût fallu dépouiller son père du bien de sa mère, et il se refusa à l’idée de réduire à la misère l’auteur de ses jours, qui s’était remarié et avait des enfants. Il a donné, dans plusieurs autres occasions, des preuves de la bonté de son cœur. Cet homme singulier vécut passionné pour la gloire, qu’il ne pouvait acquérir dans aucun genre… Il est mort