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naïf, épris tantôt de la couleur des vieux fabliaux français, tantôt du vif chatoiement de la fable orientale mise à la mode par le succès des Mille et une Nuits ; suivant, après tout, les goûts de son siècle plus que sa propre fantaisie, le voilà qui s’est laissé aller au plus terrible danger de la vie littéraire, celui de prendre au sérieux ses propres inventions. Ce fut, il est vrai, le malheur et la gloire des plus grands auteurs de cette époque ; ils écrivaient avec leur sang, avec leurs larmes ; ils trahissaient sans pitié, au profit d’un public vulgaire, les mystères de leur esprit et de leur cœur ; ils jouaient leur rôle au sérieux, comme ces comédiens antiques qui tachaient la scène d’un sang véritable pour les plaisirs du peuple-roi. Mais qui se serait attendu, dans ce siècle d’incrédulité où le clergé lui-même a si peu défendu ses croyances, à rencontrer un poète que l’amour du merveilleux purement allégorique entraîne peu à peu au mysticisme le plus sincère et le plus ardent ?

Les livres traitant de la cabale et des sciences occultes inondaient alors les bibliothèques ; les plus bizarres spéculations du moyen âge ressuscitaient sous une forme spirituelle et légère, propre à concilier à ces idées rajeunies la faveur d’un public frivole, à demi-impie, à demi-crédule, comme celui des derniers âges de la Grèce et de Rome. L’abbé de Villars, dom Pernetty, le marquis d’Argens, popularisaient les mystères de l’OEdipus Ægyptiacus et les savantes rêveries des néoplatoniciens de Florence. Pic de la Mirandole et Marsile Ficin renaissaient tout empreints de l’esprit musqué du xviiie siècle, dans le Comte de Gabalis, les Lettres cabalistiques et autres productions de philosophie transcendante à la portée des salons. Aussi ne parlait-on plus que d’esprits élémentaires, de sympathies occultes, de charmes, de possessions,