Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/253

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

        Mon cœur battait
    Et en battant disait :
    Le diable est sous la fleur !…
Hélas ! ma bonne, hélas ! que j’ai grand’peur !

Cette rose, enchantée par le diable, livre la belle aux mauvais desseins de l’aumônier. Mais bientôt, reprenant ses sens, elle le menace de le dénoncer à son père, et le malheureux la fait taire d’un coup de poignard.

Cependant, on entend de loin la voix du comte qui cherche sa fille. Le diable alors s’approche du coupable sous la forme d’un bouc et lui dit : Monte, mon cher ami ; ne crains rien, mon fidèle serviteur.

    Il monte, et, sans qu’il s’en étonne,
Il sent sous lui le diable détaler ;
    Sur son chemin l’air s’empoisonne,
Et le terrain sous lui semble brûler.
        En un instant
    Il le plonge vivant
    Au séjour de douleur !
Hélas ! ma bonne, hélas ! que j’ai grand’peur !

Le dénoûment de l’aventure est que sire Enguerrand, témoin de cette scène infernale, fait par hasard un signe de croix, ce qui dissipe l’apparition. Quant à la moralité, elle se borne à engager les femmes à se défier de leur vanité, et les hommes à se défier du diable.

Cette imitation des vieilles légendes catholiques, qui serait fort dédaignée aujourd’hui, était alors d’un effet assez neuf en littérature ; nos écrivains avaient longtemps obéi à ce précepte de Boileau, qui dit que la foi des chrétiens ne doit pas emprunter d’ornements à la poésie ; et, en effet, toute religion qui tombe dans le domaine des poètes se dénature bientôt, et perd son pouvoir sur les