Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/249

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les fictions et les fables n’eurent plus de succès qu’alors. Les plus graves écrivains, Montesquieu, Diderot, Voltaire, berçaient et endormaient, par des contes charmants, cette société que leurs principes allaient détruire de fond en comble. L’auteur de l’Esprit des lois écrivait le Temple de Gnide ; le fondateur de l’Encyclopédie charmait les ruelles avec l’Oiseau blanc et les Bijoux indiscrets ; l’auteur du Dictionnaire philosophique brodait la Princesse de Babylone et Zadig des merveilleuses fantaisies de l’Orient. Tout cela, c’était de l’invention, c’était de l’esprit, et rien de plus, sinon du plus fin et du plus charmant.

Mais le poète qui croit à sa fable, le narrateur qui croit à sa légende, l’inventeur qui prend au sérieux le rêve éclos de sa pensée, voilà ce qu’on ne s’attendait guère à rencontrer en plein xviiie siècle, à cette époque où les abbés poètes s’inspiraient de la mythologie, et où certains poètes laïques faisaient de la fable avec les mystères chrétiens.

On eût bien étonné le public de ce temps-là en lui apprenant qu’il y avait en France un conteur spirituel et naïf à la fois qui continuait les Mille et une Nuits, cette grande œuvre non terminée que M. Galland s’était fatigué de traduire, et cela comme si les conteurs arabes eux-mêmes les lui avaient dictées ; que ce n’était pas seulement un pastiche adroit, mais une œuvre originale et sérieuse écrite par un homme tout pénétré lui-même de l’esprit et des croyances de l’Orient. La plupart de ces récits, il est vrai, Cazotte les avait rêvés au pied des palmiers, le long des grands mornes de Saint-Pierre ; loin de l’Asie sans doute, mais sous son éclatant soleil. Ainsi le plus grand nombre des ouvrages de cet écrivain singulier a réussi sans profit pour sa gloire, et c’est au Diable amoureux seul et à quelques poèmes et chansons qu’il a