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crets naissants de la fille, qu’il divulguait dans ses écrits sous des fictions transparentes. De là des procès et des divorces. Un jour, il faillit être assassiné par un certain E… dont il avait fait figurer la femme dans ses Contemporaines. C’était habituellement le matin qu’il rédigeait ses observations de la veille. Il ne faisait pas moins d’une nouvelle avant le déjeûner. Dans les derniers temps de sa vie, en hiver, il travaillait dans son lit faute de bois, sa culotte par-dessus son bonnet, de peur des courants d’air. Il avait aussi des singularités qui variaient à chacun de ses ouvrages, et qui ne ressemblaient guère aux singularités en manchettes d’Haydn et de M. de Buffon. Tantôt il se condamnait au silence comme à l’époque de sa rencontre avec Cubières, tantôt il laissait croître sa barbe, et disait à quelqu’un qui le plaisantait : « Elle ne tombera que lorsque j’aurai achevé mon prochain roman. — Et s’il a plusieurs volumes ? — Il en aura quinze. — Vous ne vous raserez donc que dans quinze ans ? — Rassurez-vous, jeune homme, j’écris un demi-volume par jour. »

Quelle fortune immense il eût faite de notre temps en luttant de vitesse avec nos plus intrépides coureurs du feuilleton, et de fougue triviale avec les plus hardis explorateurs des misères de bas étage ! Son écriture se ressent du désordre de son imagination ; elle est irrégulière, vagabonde, illisible ; les idées se présentent en foule, pressent la plume, et l’empêchent de former les caractères. C’est ce qui le rendait ennemi des doubles lettres et des longues syllabes, qu’il remplaçait par des abréviations. Le plus souvent, comme on sait, il se bornait à composer à la casse son manuscrit. Il avait fini par acquérir une petite imprimerie où il casait lui-même ses ouvrages, aidé seulement d’un apprenti.

La révolution ne pouvait lui être chère d’aucune ma-