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face de lui était un jeune provincial plaisant qu’on appelait Nicodème, puis un sourd qui amusait la société en parlant çà et là de choses qui n’avaient aucun rapport avec la conversation. Un petit homme propret, affublé d’un habit en camelot blanc, faisait l’important et traitait de fariboles les idées politiques et philosophiques qu’émettait le romancier. Une Mme Laval, marchande de dentelles de Malines, le défendait au contraire et lui trouvait du fonds. On était alors en 1789, de sorte qu’il fut question pendant le repas de la nouvelle constitution du clergé, de l’extinction des privilèges nobiliaires et des réformes législatives. Restif, se voyant au milieu de bonnes gens bien ronds, et qui l’écoutaient en général avec faveur, développa une foule de systèmes excentriques. Le sourd les hachait de coq-à-l’âne d’une manière fort incommode, l’homme en camelot blanc les perçait d’un trait vif ou d’une apostrophe pleine de gravité. On finit, selon l’usage d’alors, par des lectures. Mercier lut un fragment de politique, Legrand d’Aussy une dissertation sur les montagnes d’Auvergne. Restif développa son système de physique, qu’il proclamait plus raisonnable que celui de Buffon, plus vraisemblable que celui de Newton. On se jeta à son cou, on proclama le tout sublime. Le surlendemain, l’abbé Fontenai, qui s’était trouvé aussi au déjeûner, lui apprit qu’il avait été victime d’un projet de mystification dont le résultat du reste avait tourné à son honneur. La marchande de mousseline était la duchesse de Luynes, la marchande de dentelle était la comtesse de Laval, la femme de chambre était la duchesse de Mailly ; le Nicodème, Matthieu de Montmorency ; le sourd, l’évêque d’Autun ; l’homme en camelot, l’abbé Sieyès, qui, pour réparer la sévérité de ses observations, envoya à Restif la collection de ses écrits. On avait voulu voir le Jean-Jacques des