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leur mieux la vie commune. Le travail assidu d’un simple ouvrier ne pouvait suffire aux habitudes de dissipation d’une femme coquette. Restif, découragé, travaillait peu à l’imprimerie royale, où il venait d’entrer, et se laissait souvent surprendre à lire en cachette les chefs-d’œuvre des beaux esprits du temps ; il arrivait alors que le directeur, Anisson Duperron, lui rabattait une demi-journée de 25 sols. Sa misère et son avilissement devinrent tels que, sans la crainte de déshonorer son père, il aurait, il l’avoue, pris quelque parti vil et bas. Cette lutte intérieure, qui rappelait sans cesse à sa pensée les vertus d’Edme Restif que, dans son pays, on avait surnommé l’honnête homme, lui fit dès-lors concevoir l’idée d’écrire le livre intitulé la Vie de mon père, qui parut quelques années plus tard, et qui est peut-être le seul irréprochable de ses écrits.

Cependant, pour écrire une œuvre de longue haleine, il fallait plus de force morale et plus de loisir que Restif n’en avait alors. Une veine plus favorable s’ouvrit pour lui en 1764 ; un de ses amis lui fit avoir la place de prote chez Guillau, rue du Fouarre. C’était une affaire de 18 livres par semaine, outre une copie de tous les ouvrages, ce qui valait 500 livres en plus. Cette bonne chance dura trois années. Le goût du travail revint avec une telle amélioration dans l’existence, et ce fut grâce aux loisirs de cette position que Restif écrivit son premier ouvrage, la Famille vertueuse. Avec une franchise que n’ont pas tous les écrivains, il avoue qu’il n’a jamais pu rien imaginer, que ses romans n’ont jamais été, selon lui, que la mise en œuvre d’événements qui lui étaient arrivés personnellement, ou qu’il avait entendu raconter ; c’est ce qu’il appelait la base de son récit. Lorsqu’il manquait de sujets, ou qu’il se trouvait embarrassé pour