Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ses livres s’adressaient sous toutes les formes à quiconque savait lire. Les titres excitaient l’attention de tous ; des gravures nombreuses, attrayantes dans leur médiocrité même, séduisaient les regards de la foule. Le roman moderne, dans ses combinaisons les plus violentes, n’offre rien de supérieur à ces images d’enlèvement, de viol, de suicide, de duel, d’orgie nocturne, de scènes contrastées, où la vie crapuleuse des halles mêle ses exhalaisons malsaines aux parfums enivrants des boudoirs. Par exemple, voici le vieux Pont-Neuf vu de nuit, et plus haut la Samaritaine ; des voleurs cachés sous l’arche Marion évitent la clarté de la lune ; un fiacre s’est arrêté sur le pont ; une femme qui en sort est précipitée dans l’eau noire, un gentilhomme se penche sur le parapet, un autre s’élance de la portière ouverte. — Qui n’a vu partout cette gravure ? Qui ne s’est demandé : « Que signifie cela ? » En faut-il plus pour le succès ? Les romans de Restif n’ont pas dû leur vogue à ces seuls moyens, dont ses contemporains d’ailleurs ne se faisaient pas faute. Il peignait souvent avec feu, quelquefois avec grâce et avec esprit, les mœurs des classes bourgeoises et populaires. Le peu qu’il savait du monde lui venait de ses fréquentations avec Beaumarchais, La Reynière et la comtesse de Beauharnais, puis encore de certains salons mixtes entre la robe et la noblesse, où il fut reçu quelquefois par curiosité ; mais ce sont les mœurs des classes bourgeoises et populaires que peignent principalement ses romans, ses nouvelles, et ses longues séries de contes connus sous le titre des Contemporaines, des Parisiennes, des Provinciales, qui firent les délices de la province et de l’étranger longtemps après que Paris les eut oubliés.

Nous avons jusqu’ici séparé, pour ainsi dire, dans Restif, l’écrivain de l’homme. Il nous reste à montrer