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Un moment auparavant, Nicolas eût provoqué en duel La Montette, et maintenant il se sentait ridicule ; le sang-froid de son rival l’avait vaincu. Avec cette terreur profonde de la vérité qui est le propre des amants trahis, il n’osa pousser plus loin les choses ; seulement il prétexta des affaires qui l’obligeaient de retourner le soir même à Paris. On parut vivement regretter son départ, et tout le monde sortit pour le reconduire sur la route. Sara marchait près de La Montette avec la même gaîté qu’auparavant ; ce dernier lui dit : « Mais prenez donc le bras de M. Nicolas. » Cette générosité était le coup le plus sensible pour un rival malheureux. Nicolas tenta de cacher son chagrin, mais il ne put s’empêcher de dire à Sara qu’il avait instruit M. de La Montette des intentions de Mme Léeman et autres particularités peu édifiantes. Alors la jeune fille entra dans une grande colère : « En vérité, monsieur, dit-elle, je suis fâchée de vous avoir connu et d’avoir été affectueuse et bonne avec vous. De quel droit vous mêlez-vous de ce qui me concerne ? de quel droit révélez-vous des secrets et déshonorez-vous ma mère ?… Au reste, ajouta-t-elle en élevant la voix, je ne sais pourquoi nous allons ainsi ensemble. C’est sans doute pour faire croire que nos relations n’ont pas toujours été innocentes. Osez le dire, monsieur ! »

Nicolas ne voulut même pas répondre. Le rouge sur le front, la mort dans le cœur, il n’eut pas la force d’être généreux en venant en aide au mensonge de la jeune fille. Il salua gauchement la société, et ce ne fut qu’en poursuivant sa route qu’il exhala tour à tour ses plaintes et ses imprécations. Une seule pensée venait tempérer sa douleur, c’était de reconnaître que la Providence l’avait justement frappé.