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faite par M. de Vesgon, et qui avait failli être acceptée… Il fit plus ; il trahit sa propre position, les sacrifices qu’il avait faits, l’amour de Sara tant de fois juré, les rendez-vous, les parties de spectacle, les lettres écrites… Maintenant, s’écria-t-il enfin, je vois que j’ai été joué, trompé… comme vous allez l’être !

— Trompé ! dit M. de La Montette, pourquoi donc ? J’ai de l’expérience, et j’avais compris tout cela.

— Quoi ! vous souffririez qu’une mère vous vendît sa fille ?

— Mais non, mon cher, je n’achète pas l’amour.

— Vous voyez donc qu’il vous faut renoncer à elle ?

— Pourquoi donc ?… si je lui plais mieux que tout autre !

Au moment où Nicolas, étourdi de cette réponse, allait rassembler toutes ses forces pour une provocation, le visage frais et souriant de la jeune fille apparaissait entre les arbres. Insouciante et folâtre, ignorante surtout de ce qui venait de se dire, elle apportait un paquet de roses dont elle fit deux parts qu’elle leur offrit. Il faisait déjà sombre dans cette allée, et elle ne put apercevoir la figure attristée de Nicolas. Ce dernier avait senti tomber toute sa colère. Sara leur dit à tous les deux des choses obligeantes, puis disparut comme pour les laisser aux charmes d’un sérieux entretien de politique ou de philosophie.

— Écoutez, dit La Montette, je ne suis plus à l’âge de l’enthousiasme, et le vôtre m’étonne. Il paraît que cela se conserve plus longtemps chez les écrivains… Puisque vous aimez cette jeune fille à ce point, je renoncerai à mes vœux… Cependant, si elle ne vous aimait pas, vous m’en avez dit tant de bien, que je chercherais d’autant plus à lui plaire…