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entraîner. Florimond partit avec ce billet, qu’il ne lut pas.

« Si nous allions au spectacle ! dit gaiement Sara. » Nicolas jeta les yeux sur elle. Elle était fort joliment coiffée d’un chapeau à l’anglaise et d’un casaquin de taffetas à reflets changeants. L’heure du spectacle étant encore éloignée, ils prirent par le plus long. Nicolas conduisit la jeune fille le long des quais jusqu’à l’île Saint-Louis, qu’il affectionnait particulièrement, comme on sait, dans ses promenades solitaires. La vue en était charmante alors, parce qu’on y découvrait d’un côté la campagne, et de l’autre le magnifique aspect des deux bras de la Seine, de la vieille cathédrale et l’Hôtel-de-Ville ; le Mail et la Râpée, s’étendant à droite et à gauche, bordés au loin de guinguettes aux berceaux verdoyants, présentaient aussi un spectacle fort animé. Nicolas avait encore une pensée : c’était de faire voir à Sara les pierres du quai sur lesquelles il avait gravé le chiffre mystique : AD. AD. (Adeline adorée), à l’époque où il venait dans ces lieux mêmes exhaler les plaintes d’un amour sans espoir. Tout était changé. Les deux amants gravèrent tour à tour sous ces chiffres à demi effacés les initiales réelles de leurs noms, et ne quittèrent l’île qu’après avoir vu le soleil descendu derrière les tours énormes du petit Châtelet. Ils remontèrent par la place Maubert, la rue Saint-Séverin, la rue Saint-André-des-Arts et celle de la Comédie[1], pour arriver à ce même théâtre encore plein pour Nicolas des souvenirs de la belle Guéant. Chemin faisant, il racontait avec larmes cette histoire de sa jeunesse, et Sara s’unissait de tout son cœur au chagrin de son ami. — Morte ! elle est morte ! s’écriait Nicolas. Morte comme cette autre si belle et plus

  1. Nicolas Restif a conservé ces détails minutieux pour marquer plus vivement son dernier jour de bonheur et d’illusions.