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tude. La répugnance qu’il avait conçue pour la veuve Léeman, d’après les aveux de sa fille, céda bientôt devant le désir de la voir plus souvent ; il cultiva l’amitié de M. Florimond en flattant ses goûts aristocratiques, et celle de la veuve en s’invitant lui-même chez elle à des soupers qu’il faisait venir de chez le traiteur ; il avait soin même d’y ajouter toujours quelque grosse volaille qui reparaissait pendant les jours suivants sur la table de l’avare Mme Léeman.

Nous avons dit que c’était seulement les dimanches que Sara pouvait venir rendre visite à Nicolas. Le reste de la semaine, elle demeurait dans la maison où elle faisait son apprentissage. Le lendemain lundi, on entendit un grand bruit dans l’escalier. « Vous êtes une effrontée, criait Mme Léeman à sa fille. — Si je ne le suis pas, ce n’est pas votre faute, répondait cette dernière. — Attends, insolente, attends !… » Et Nicolas descendit aux cris de Sara. « Une fille, monsieur, qui me répond des impertinences ! s’écria la mère. — Ma chère Sara, calmez-vous ! » dit Nicolas ; mais la jeune fille le reçut assez mal, et cependant s’adoucit un peu en s’habillant pour aller chez ses maîtresses. Mme Léeman dit à Nicolas, quand elle fut partie : — N’est-il pas malheureux de n’avoir qu’une enfant et de la voir aller chez les autres ? — Pourquoi ne pas la garder chez vous ? — Ah ! monsieur, je suis si pauvre… et puis je ne voudrais rien devoir à mes amis.

Nicolas était alors dans une assez bonne position ; ses premiers romans, surtout le Paysan perverti et les Contemporaines, lui rapportaient beaucoup plus que son travail d’imprimeur : — Prenez votre fille chez vous, dit-il à Mme Léeman, et nous ferons ce que nous pourrons pour son entretien. — Dans le fait, dit la mère, il y a au second un logement qui va être libre ; nous le meublerons