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Je rêve à toi quand je sommeille,
Ton nom m’agite, il me saisit ;
Je pense à toi quand je m’éveille,
Ton image partout me suit…

— Vous chantez avec sentiment, dit Nicolas. Auriez-vous le cœur aussi sensible que votre voix est touchante ?

— Ah ! monsieur, dit Sara, si vous me connaissiez mieux, vous ne me feriez pas cette question ; mais vous m’apprécierez un jour, et vous saurez si je suis constante dans mes sentiments.

— Voilà ce que votre jolie bouche pouvait me dire de plus agréable.

— Mon Dieu, c’est tout naturel. Quand on a aimé une fois, n’est-ce pas pour la vie ? et peut-on oublier jamais la personne qu’on a aimée ?

— Voilà une bien douce morale !

— C’est celle de la nature.

— Vous avez de l’esprit et de la philosophie, mademoiselle.

— J’ai vu un peu de monde, c’est vrai… Je vous conterai cela quelque jour.

Nicolas fronça le sourcil, mais il se rassura bien vite en entendant la jeune fille ajouter avec un entraînement naïf qu’elle avait été invitée avec sa mère à de très belles tables, notamment dans une maison de campagne à quelques lieues de Paris, chez un magistrat de cour où il venait du beau monde. Peut-être y eût-il plus réfléchi, si le babillage de l’enfant n’avait tout à coup changé d’objet.

— Vous savez, dit-elle, que j’ai été au couvent… Eh bien ! j’y ai reçu une éducation si soignée, qu’il m’est venu à l’esprit de faire une pièce de théâtre. Oh ! le théâtre, c’est ce qui m’a formée. J’y serais allée plus souvent encore, si ce n’est que maman n’aime pas les bons spec-