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pour l’homme qu’elle préférait. L’amour seul assurait Nicolas de sa vertu. Il fallut encore que le bon Loiseau fît son éducation morale, et lui donnât des leçons de décence et de pudeur. On lui fit lire de bons livres, à elle qui n’avait lu encore que des romans de Crébillon fils ou de Voisenon. On lui apprit à tenir un autre langage que celui qu’elle avait entendu tenir jusque-là, et ce fut seulement lorsqu’on n’eut plus rien à craindre de ses manières délibérées ou de son caquet imprévoyant qu’on lui chercha une profession. La prétendue de Loiseau, qui se nommait Mlle Zoé, avait aidé beaucoup les deux amis dans l’éducation préliminaire de Zéfire. Elle la proposa pour demoiselle de boutique à une marchande de modes qui demeurait au coin de la rue des Grands-Augustins. Ses vêtements de grisette, sa coiffure sans poudre et son bonnet à tulle plat la changeaient tellement qu’il eût été impossible de la reconnaître. La mère, avertie par Nicolas, approuva tous ces arrangements, et s’engagea à ne jamais rendre visite à sa fille tant qu’elle serait en apprentissage.

Nicolas ne pouvait voir Zéfire que le dimanche ; Mlle Zoé allait la chercher ce jour-là, et l’on faisait des promenades hors barrière avec Loiseau. Nicolas, toujours impatient, ne pouvait s’empêcher de passer chaque soir devant la boutique ; il regardait aux vitres, et était considéré comme le galant assidu de quelqu’une des jeunes filles, sans qu’on pût savoir de laquelle. Les boutiquières de Paris ne s’étonnent jamais de ces amours à distance, qui sont des plus fréquents. Un dimanche, Nicolas convint avec Zéfire qu’il lui écrirait tous les soirs. Comme elle était placée près du vitrage, il avait soin de plier sa lettre en pli d’éventail, et la passait par l’un des trous de boulon. Zéfire tirait adroitement le papier, et était heureuse