Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/16

Cette page a été validée par deux contributeurs.

la ville principale du royaume, dont les toits innombrables se déroulaient au loin sous les fenêtres des prisonniers.

Vignet avait des moments lucides, pendant lesquels il distinguait fort clairement le bruit des barreaux de fer entre-choqués, des cadenas et des verrous. Cela le conduisit à penser qu’on enfermait Sa Majesté de temps en temps, et il communiqua cette observation judicieuse à Spifame, qui répondit mystérieusement que ses ministres jouaient gros jeu, qu’il devinait tous leurs complots, et qu’au retour du chancelier Spifame les choses changeraient d’allure ; qu’avec l’aide de Raoul Spifame et de Claude Vignet, ses seuls amis, le roi de France sortirait d’esclavage et renouvellerait l’âge d’or chanté par les poètes.

Sur quoi Claudius Vignetus fit un quatrain qu’il offrit au roi comme une avance de bénédiction et de gloire :

Par toy vient la chaleur aux verdissantes prées,
Vient la vie aux troupeaux, à l’oiseau ramageux,
Tu es donc le soleil, pour les coteaux neigeux
Transmuer en moissons et collines pamprées !

La délivrance se faisant attendre beaucoup, Spifame crut devoir avertir son peuple de la captivité où le tenaient des conseillers perfides ; il composa une proclamation, mandant à ses sujets loyaux qu’ils eussent à s’émouvoir en sa faveur ; et lança en même temps plusieurs édits et ordonnances fort sévères : ici le mot lança est fort exact, car c’était par sa fenêtre, entre les barreaux, qu’il jetait ses chartes, roulées et lestées de petites pierres. Malheureusement, les unes tombaient sur un toit à porcs, d’autres se perdaient dans l’herbe drue d’un préau désert situé au-dessous de sa fenêtre ; une ou deux seulement, après mille jeux en l’air, s’allèrent percher comme des oiseaux dans le feuillage d’un tilleul situé