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Nicolas passait un dimanche près de l’Opéra, qui se trouvait alors faire partie du Palais-Royal. — Il remarqua à une fenêtre de la rue Saint-Honoré une jeune fille qui chantait en pinçant de la harpe. Elle paraissait n’avoir que quatorze ans ; son sourire était divin, son air vif et doux, le son de sa voix pénétrait le cœur ; elle se leva, et sa taille guépée, comme on disait alors, se mouvait avec une désinvolture adorable. Un instant, Mme Parangon fut oubliée ; — un instant après, son souvenir plus vif rendit à Nicolas la force de fuir la sirène.

En retournant le soir chez lui, rue Sainte-Anne, il revint par le même chemin. La jeune fille n’était plus à la fenêtre ; elle marchait le long des boutiques, sur le pavé boueux, avec des mules roses et une robe à falbalas. Nicolas, jeune encore et le cœur plein d’un cher souvenir, n’éprouva qu’un sentiment de pitié. Il interrogea la pauvre enfant, qui lui répondit qu’elle se nommait Zéfire, et qu’elle demeurait dans la maison avec sa mère, sa sœur et leurs amies. Il y avait tant d’innocence apparente dans ses réponses, ou plutôt tant d’ignorance de ce qui était mal ou bien, vice ou vertu, que Nicolas crut qu’elle jouait un rôle appris d’avance. Il s’éloigna et rentra tout pensif à son logement, qu’il partageait avec un autre ouvrier imprimeur, nommé Loiseau. Le jour suivant, comme ils revenaient ensemble après leur journée, Nicolas montra la jeune fille à son compagnon, plaignant le sort d’une pauvre enfant, — perdue sans savoir même qu’elle l’était, — et voulut s’arrêter pour l’interroger encore ; mais Loiseau, homme de mœurs sévères, et qui était prêt à se marier, entraîna Nicolas en lui parlant du danger qu’il y avait seulement à se pencher sur un abîme.

— Et s’il fallait sauver quelqu’un ?… dit Nicolas.

Loiseau hocha la tête, et Nicolas entama une longue