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— Sire, je vois bien qu’on vous avait jusqu’ici caché mes sonnets et mes épîtres, tous à vous adressés. Ainsi arrive-t-il dans les cours…

Ce séjour odieux des fourbes nuageuses.

— Messire Claudius Vignetus, vous ne me quitterez plus ; vous serez mon ministre, et vous mettrez en vers mes arrêts et mes ordonnances. C’est le moyen d’en éterniser la mémoire. Et maintenant, voici l’heure où notre amée Diane vient à nous. Vous comprenez qu’il convient de nous laisser seuls.

Et Spifame, après avoir congédié le poète, s’endormit dans sa chaise longue, comme il avait coutume de le faire une heure après le repas.

Au bout de peu de jours les deux fous étaient devenus inséparables, chacun comprenant et caressant la pensée de l’autre, et sans jamais se contrarier dans leurs mutuelles attributions. Pour l’un, ce poète était la louange qui se multiplie sous toutes les formes à l’entour des rois et les confirme dans leur opinion de supériorité ; pour l’autre, cette ressemblance incroyable était la certitude de la présence du roi lui-même. Il n’y avait plus de prison, mais un palais ; plus de haillons, mais des parures étincelantes ; l’ordinaire des repas se transformait en banquets splendides, où, parmi les concerts de violes et de buccines, montait l’encens harmonieux des vers.

Spifame, après ses rêveries, était communicatif, et Vignet se montrait surtout enthousiaste après le dîner. Le monarque raconta un jour au poète tout ce qu’il avait eu à endurer de la part des écoliers, ces turbulents aboyeurs, et lui développa ses plans de guerre contre l’Espagne ; mais sa plus vive sollicitude se portait, comme on le verra ci-après, sur l’organisation et l’embellissement de