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et de jardins. Il y restait d’ordinaire jusqu’au coucher du soleil. Revenant un soir par le quai Saint-Michel, il remarqua en passant une femme enveloppée dans un capuchon de satin noir, et accompagnée d’un homme mûr coiffé d’une perruque carrée à trois marteaux, lequel pouvait être son mari ou son intendant. Le pied de cette dame, chaussé d’une mule verte, le ravit en admiration, — on sait que c’était là son faible, — et il ne pouvait en son esprit le comparer qu’à celui de Mme Parangon ou à celui de la duchesse de Choiseul. La figure était cachée ; il se borna à conclure du pied au reste de la personne, selon le système que Buffon a appliqué à l’étude des races.

Il eut l’idée de suivre ce couple mystérieux, il vit bientôt l’homme mûr et la dame descendre le pont et s’enfoncer dans la rue Saint-Jacques jusqu’à l’embranchement qu’elle forme avec la rue Saint-Séverin. Arrivé là, l’homme indiqua à la dame une porte d’allée, la regarda entrer, s’assura qu’elle était reçue dans la maison, puis il s’éloigna. Ce qui intriguait le plus Nicolas de cette séparation du couple qu’il avait suivi, c’est que la maison où était entrée la dame lui était connue pour un logis assez suspect ; c’était un de ces tripots où joueurs et femmes parées de toute sorte s’assemblaient autour d’un tapis de pharaon. Il entra résolûment, prit place à la table sans affectation, et examina toutes les mules des dames attablées, qui de temps en temps se levaient et parcouraient la salle. Aucune n’avait de mule verte ; aucune surtout n’avait ni le pied de Mme Parangon ni celui de Mme de Choiseul. Qu’était donc devenue la femme voilée ?… Il finit par se décider à le demander à la dame qui présidait à la table de jeu ; mais, en approchant d’elle, Nicolas reconnut sous la parure étincelante, sous les ajustements hasardés de cette personne, une compatriote, une