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cendre avec ses pieds engourdis, il se vit autorisé à la prendre dans ses bras, et fut obligé de la déposer sur le tas de lin qui restait à terre. Comment dire ce qui se passa dans cet instant fugitif comme un rêve ? L’amour longtemps contenu, la pudeur vaincue par la surprise, tout conspira contre la pauvre femme, si bonne, si généreuse, qui tomba presque aussitôt dans un évanouissement profond comme la mort. Nicolas, enfin effrayé, n’eut que la force de la porter dans sa chambre. Tiennette rentrait, il lui dit que sa maîtresse s’était trouvée mal et l’avait appelé. Il peignit son embarras et son désespoir, puis s’enfuit quand elle sembla revenir à la vie, n’osant supporter son premier regard…

Tout s’est donc accompli. La pauvre femme, qui peut-être avait aimé en silence, mais que le devoir retenait toujours, ne se lève pas le lendemain matin. Tiennette vient seulement dire à Nicolas qu’elle est malade et que le déjeuner est préparé pour lui seul. Tant de réserve, tant de bonté, c’est une torture nouvelle pour l’âme qui se sent coupable. Nicolas se jette aux pieds de Tiennette étonnée, il lui baigne les mains de ses larmes. — Oh ! laisse-moi, laisse-moi la voir, lui demander pardon à genoux ! que je puisse lui dire combien j’ai regret de mon crime…

Mais Tiennette ne comprenait pas.

— De quel crime parlez-vous, monsieur Nicolas ? Madame est indisposée ; seriez-vous malade aussi ?… Vous avez la fièvre certainement.

— Non ! Tiennette ! mais que je la voie !…

— Mon Dieu ! monsieur Nicolas, qui vous empêche d’aller voir madame ?

Nicolas était déjà dans la chambre de la malade. Prosterné près du lit, il pleurait sans dire une parole, et n’o-