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tendait. C’était la seconde fois qu’il avait l’audace de pénétrer dans l’asile d’une femme endormie ; mais Mme Parangon n’avait rien de l’abandon ni de la nonchalance imprudente de la pauvre Marguerite Pâris. Elle dormait sévèrement drapée comme une statue de matrone romaine. Sans la douce respiration de sa poitrine et l’ondulation de sa gorge voilée, elle eût produit l’impression d’une figure austère sculptée sur un tombeau. Le mouvement qu’avait fait Nicolas l’avait sans doute à demi réveillée, car elle étendit la main, puis appela faiblement sa servante Tiennette. Nicolas se jeta à terre. La crainte qu’il eut d’être touché par le bras étendu de sa maîtresse, ce qui certainement l’eût tout-à-fait réveillée, lui causa une impression telle qu’il resta quelque temps immobile, retenant son haleine, tremblant aussi que Tiennette n’entrât. Il attendit quelques minutes, et, le silence n’ayant plus été troublé, l’apprenti n’eut que la force de se glisser en rampant hors de la chambre. Il s’enfuit jusqu’à la salle à manger et se tint debout dans l’encoignure d’un buffet ; peu de temps après, il entendit un coup de sonnette. Mme Parangon réveillait sa servante et la faisait coucher près d’elle.

Comment oser reparaître devant le cordelier après une si ridicule tentative ? Cette pensée préoccupait Nicolas le lendemain plus vivement même que le regret d’une occasion perdue. Ainsi la corruption faisait des progrès rapides dans cette âme si jeune, et les douleurs de l’amour-propre dominaient celles de l’amour.

Le lendemain, après le dîner, Mme Parangon pria Nicolas de lui faire une lecture, et choisit les Lettres du marquis de Roselle. Rien, du reste, dans son ton, dans ses regards, n’indiquait qu’elle connût la cause du bruit qui l’avait réveillée la nuit précédente. Aussi Nicolas ne tarda-t-il pas à se rassurer ; il lut avec charme, avec feu ; la