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royaume. Plusieurs jours de fièvre succédèrent à la profonde secousse que tous ces graves événements avaient produite sur un tel cerveau. Le délire fut si grave que le médecin s’en inquiéta et fit transporter le fou dans un local plus vaste, où l’on pensa que la compagnie d’autres prisonniers pourrait de temps en temps le détourner de ses méditations habituelles.

III.

LE POÈTE DE COUR.

Rien ne saurait prouver mieux que l’histoire de Spifame combien est vraie la peinture de ce caractère, si fameux en Espagne, d’un homme fou par un seul endroit du cerveau, et fort sensé quant au reste de sa logique ; on voit bien qu’il avait conscience de lui-même, contrairement aux insensés vulgaires qui s’oublient et demeurent constamment certains d’être les personnages de leur invention. Spifame, devant un miroir ou dans le sommeil, se retrouvait et se jugeait à part, changeant de rôle et d’individualité tour à tour, être double et distinct pourtant, comme il arrive souvent qu’on se sent exister en rêve. Du reste, comme nous disions tout à l’heure, l’aventure du miroir avait été suivie d’une crise très forte, après laquelle le malade avait gardé une humeur mélancolique et rêveuse qui fit songer à lui donner une société.

On amena dans sa chambre un petit homme demi-chauve, à l’œil vert, qui se croyait, lui, le roi des poètes, et dont la folie était surtout de déchirer tout papier ou parchemin non écrit de sa main, parce qu’il croyait y voir les productions rivales des mauvais poètes du temps