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ne pouvait s’empêcher de le regarder avec attendrissement, car il lui rappelait M. Rousseau par son amour pour Jeannette, et le pauvre Denesvre par son exaltation, par ses regards ardents, par la douceur même qu’elle sentait à se voir par instant l’objet d’un trouble qui détournait de Jeannette. D’ailleurs, si ses peines d’autrefois la rendaient indulgente, la différence des âges lui donnait de la sécurité.

Il était près de neuf heures quand la gouvernante et Nicolas rentrèrent à la cure. On se coucha à dix. L’imagination du jeune homme brodait sur tout ce qu’il avait entendu, une foule de pensées incohérentes qui éloignaient le sommeil. Il couchait dans la même chambre que l’abbé Thomas, au rez-de-chaussée ; il y avait en outre les deux petits baldaquins d’Huet et Melin, les enfants de chœur. La chambre de Marguerite, située dans l’autre aile de la maison, donnait par une fenêtre basse sur le jardin. Tout à coup l’image du jeune Denesvre bravant le danger pour voir Marguerite se retrace vivement à la pensée de Nicolas. Il suppose en esprit qu’il est lui-même ce jeune homme, qu’il y a quelque chose de beau à répandre son sang pour un entretien d’amour, et, moitié éveillé, moitié soumis à une hallucination fiévreuse, il se glisse hors de son lit, puis parvient à gagner le jardin par la porte de la cuisine. Le voilà devant la fenêtre de Marguerite, qui l’avait laissée ouverte à cause de la chaleur. Elle dormait, ses longs cheveux dénoués sur ses épaules ; la lune jetait un reflet où se découpait sa figure régulière, belle et jeune comme autrefois dans ce favorable demi-jour. Nicolas fit du bruit en enjambant l’appui de la fenêtre. Marguerite rêvant murmura entre ses lèvres : « Laisse-moi, mon cher Denesvre, laisse-moi ! » O moment terrible, double illusion qui peut-être aurait eu un triste