Page:Nerval - Les Illuminés, 1852.djvu/115

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les provisions du panier, et mit rafraîchir la bouteille d’eau rougie dans la fontaine. Tout en goûtant, Nicolas raconta qu’il avait vu après le dîner, chez Mme Jeudi, le mari arrêter sa femme entre deux portes et l’embrasser tendrement, pendant que la mère et la grande nièce s’occupaient de la desserte. — C’est assez causer de cela ! dit Marguerite en se levant ; mais Nicolas la retint par sa robe, et fut assez fort pour la faire rasseoir.

— Eh bien ! causons encore un peu, dit Marguerite après avoir résisté vainement.

— Je veux vous montrer, dit ce dernier, comment il a embrassé sa femme…

— Ah ! monsieur Nicolas, c’est un péché ! s’écria Marguerite, qui n’avait pu se défendre de cette surprise. Et Jeannette, que dirait-elle, si elle vous voyait ?

— Jeannette ! oh ! oui, Marguerite… vous avez raison ; mais je ne sais pourquoi ma pensée est à elle, et c’est vous cependant qui m’agitez le cœur si fort que je ne puis respirer…

— Allons-nous-en, mon fils, dit la gouvernante avec douceur et d’un ton si digne, avec un accent si attendri, que Nicolas crut entendre sa mère. En la faisant monter sur l’âne, il ne la toucha plus qu’avec une sorte d’effroi, et ce fut alors Marguerite qui lui donna un chaste baiser sur le front.

Elle semblait réfléchir profondément, comme saisie d’une impression douloureuse et rompit enfin le silence : — Prenez garde, monsieur Nicolas, dit-elle, à cette âme brûlante qui s’épanche vers tout ce qui vous entoure. Vous êtes enclin à pécher, comme l’était M. Polvé, mon oncle, chez qui je fus élevée. Les passions mal réprimées mènent plus loin qu’on ne pense ; dans l’âge mûr, elles se fortifient, et la vieillesse même n’en défend pas les âmes vi-