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de larmes ses bras délicats et beaucoup plus beaux que ceux de Jeannette, qui, comme toutes les jeunes filles, ne les avait pas encore formés. Sœur Marguerite, un peu émue et voulant mettre un terme à cette exaltation, rappela au jeune homme qu’il était temps de lire l’heure canoniale de primes. Nicolas se recueillit aussitôt et commença en qualité d’homme, la sœur disant alternativement son verset, et lui le capitule, l’oraison et tout ce qui est du ressort du célébrant, de sorte qu’ils arrivèrent innocemment à la ville.

Marguerite fit la commission du curé, puis quelques emplettes, et conduisit Nicolas pour dîner chez Mme Jeudi, qui était une marchande mercière janséniste chez laquelle elle achetait d’ordinaire quelques passementeries et dentelles d’église, et aussi des rubans et autres colifichets pour elle-même. Cette dame Jeudi avait une fille très jolie, nouvellement mariée à un jeune janséniste de Clamecy par accord d’intérêts entre les deux familles. La dévotion de la mère poursuivait les deux époux dans leurs rapports les plus simples, de sorte qu’ils ne pouvaient ni se dire un mot, ni se trouver ensemble sans sa permission. On appelait encore la jeune épouse Mlle Jeudi. Cette façon d’agir était du reste assez en usage parmi les honnêtes gens (c’est ainsi que s’appelaient entre eux les jansénistes). Il y avait de plus dans la maison une grande nièce âgée de vingt-six ans, que la mère avait établie surveillante des deux époux, et qui était autorisée, en cas d’abus, à les traiter très sévèrement. Quand Mme Jeudi était forcée de s’absenter, elle obligeait sa grande nièce à tenir un cahier de toutes les infractions aux convenances dont pouvaient se rendre coupables son gendre et sa fille. Tel était l’intérieur un peu austère de cette maison.

Nicolas, assis entre les deux jeunes personnes, jetait