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gardèrent bien de se rendre aux vœux du propriétaire.) Nicolas exposa à la troupe ses droits de premier occupant, constatés par sa pyramide et son autel. On les reconnut pour inviolables. Dès-lors commença la cérémonie : on alluma du bois sec où l’on jeta les entrailles de l’oiseau, selon le rite patriarcal ; puis Nicolas posa le corps sur un petit bûcher et improvisa une prière qui fut accompagnée de quelques versets des psaumes. Il se tenait debout, très grave et pénétré de la grandeur de son action ; ensuite il distribua aux assistants les chairs rôties de l’oiseau dont il mangea le premier, et qui étaient détestables. Les trois chiens seuls se régalèrent avec joie des reliefs de cette cuisine sacerdotale.

Qui eût pu prévoir que ce scrupuleux propriétaire deviendrait l’un des plus fervents communistes dont les doctrines aient enflammé l’époque révolutionnaire. Toutefois ses prétentions avaient trouvé des jaloux parmi les pâtres de Saci, car le secret fut dévoilé, le sacrifice fut traité d’abominable profanation des choses saintes, et l’abbé Thomas, frère du premier lit de Nicolas, qui demeurait à quelques lieues de Saci, se rendit exprès à La Bretone pour donner le fouet au jeune hérétique ; l’abbé motiva le fait de cette correction sur ce qu’ayant été le parrain du coupable, il répondait indirectement de ses péchés. Le pauvre homme ne se doutait pas qu’il s’était engagé bien imprudemment envers le ciel.

Nicolas avait deux frères du premier lit qu’on voyait peu dans la famille ; l’aîné était curé de Courgis ; le dernier, que nous venons d’entrevoir, l’abbé Thomas, était précepteur chez les jansénistes de Bicêtre, et venait voir sa famille pendant les vacances. Lorsqu’il repartit cette année-là, on lui confia son jeune frère, auquel il convenait d’inspirer enfin des idées sérieuses. Tous deux