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En y réfléchissant, Nicolas se dit : Ce vallon n’est à personne… Je le prends, je m’en empare ; c’est mon petit royaume ! Il faut que j’y élève un monument pour qu’il me serve de titre, ainsi que cela s’est toujours fait selon la Bible que lit mon père. Pendant plusieurs jours, il travailla à dresser une pyramide. Quand elle fut terminée, il lui vint à l’esprit, toujours d’après l’inspiration de la Bible, d’y faire un sacrifice dans les règles. Un être libre comme moi, se dit-il, devant se suffire à lui-même, doit être à la fois roi, pontife, magistrat, berger, boulanger, cultivateur et chasseur. En vertu de ces titres, il se mit en quête d’une victime, et parvint à atteindre avec sa fronde un oiseau de proie de l’espèce qu’on nomme bondrée, qu’il crut avoir condamné justement comme coupable de troubler l’innocence et la sécurité des hôtes du vallon. Peut-être sa conscience eût-elle, plus tard, trouvé à redire à ce raisonnement, quand l’étude de l’harmonie universelle lui eût appris l’utilité des êtres nuisibles. Aussi n’appuyons-nous sur ces enfantillages que pour signaler la teinte mystique des premières idées du rêveur[1]. Cependant, il fallait avoir des témoins de cet acte religieux. C’est à midi que les bêtes de trait sont conduites au pâturage après les travaux de la matinée. Nicolas attendit cette heure et appela par ses cris les bergers qui passaient au loin. Aussitôt accoururent les compagnons ordinaires de ses jeux et les jolies Marie Fouare et Madeleine Piat. — Venez, venez, disait Nicolas, je vais vous montrer mon vallon, mon poirier, et aussi mon sanglier et ma huppe. (Mais ces animaux se

  1. Il est curieux de trouver en effet dans les premières années de Restif ce trait d’un sacrifice à l’Éternel, qui rappelle un récit analogue de Goëthe, devenu comme lui panthéiste plus tard.