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LES FILLES DU FEU

le bon vent. Néanmoins les heures me semblaient des minutes, encore que j’étais bien affamée. Car à Villefranche, peur de la peste, ils ne voulurent nous laisser prendre des vivres. Ainsi tous bien affamés, nous fîmes voile ; mais auparavant, de crainte de faire naufrage, je me voulus confesser à un bon père cordelier qui était en notre compagnie, et lequel venait à Gênes aussi.


« Car mon mari (elle l’appelle toujours ainsi de ce moment), voyant entrer dans notre chambre un gentilhomme génois, lequel écorchait un peu le français, lui demanda : « Monsieur, vous plaît-il quelque chose ? — Monsieur, dit ce Génois, je voudrais bien parler à Madame. » Mon mari, tout d’un temps, mettant l’épée à la main, lui dit : « La connaissez-vous ? Sortez d’ici, car autrement je vous tuerai. »

» Incontinent, M. Audiffret nous vint voir, lequel lui conseilla de nous en aller le plus promptement qu’il se pourrait, parce que ce Génois, très-assurément, lui ferait faire du déplaisir.


» Nous arrivâmes à Civita-Vecchia, puis à Rome, où nous descendîmes à la meilleure hôtellerie, attendant de trouver la commodité de se mettre en chambre garnie, laquelle on nous fit trouver en la rue des Bourguignons, chez un Piémontais, duquel la femme était Romaine. Et un jour étant à sa fenêtre, le neveu de Sa Sainteté passant avec dix-neuf estafiers, en envoya un qui me dit ces paroles en italien : « Mademoiselle, Son Éminence m’a commandé de venir savoir si vous aurez agréable qu’il vous vienne voir. » Toute tremblante, je lui réponds : « Si mon mari