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formes aussi pures que les empreintes des camées antiques. Il dessinait ses rêves avec un crayon presque raphaélesque d’élégance et de légèreté. Vous souvenez-vous de cette jeune fille de Sycione à laquelle Plutarque attribue l’invention de la peinture ? Un soir, elle vit l’ombre de son amant vaciller sur le mur, à la clarté de la lampe ; elle prit un charbon éteint dans le trépied domestique, courut à la vague image et l’enferma dans un pur contour. Ainsi Gérard dessinait nos chimères, colorait des fantômes, mais d’une main toute grecque et d’un style sobre et clair comme la ligne d’une fresque de Pompeïa. On devine pourtant le point de vue fantastique sous lequel il peignait les figures de ses romans et de ses poèmes, à je ne sais quel jour de lune qui les éclaire. Ses Femmes du Caire, ses Filles du Feu, elles vivent, elles sont charmantes ; mais l’impondérable légèreté de leur démarche trahit leur surnaturelle origine. Elles vous apparaissent baignées et flottantes dans le fluide diaphane de révocation magnétique ; leurs yeux brillent de l’étrange scintillation des étoiles ; leurs pieds rasent la terre, leurs gestes expriment des signes mystérieux, leurs costumes mêmes tiennent de la nuée et de l’arc-en-ciel. Chut ! parlez plus bas, ou, comme la fiancée de l’Albano de Jean-Paul, elles vont s’évaporer, se fondre, et se résoudre en une larme tiède qui vous tombera sur le cœur.

Cependant, il y a quelques mois, l’esprit de Gérard subit une seconde éclipse. Dés lors, il fit nuit dans sa tête, mais une nuit pleine d’astres, de météores, de phénomènes lumineux. Son existence ne fut plus qu’une vision continue entrecoupée d’extases et de cauchemars. Lui-même a raconté les mystères de sa vie rêveuse dans cet étonnant récit intitulé : Aurélia, ou le Rêve et la Vie, qu’une Revue publiait le mois dernier. C’est une apocalypse d’amour, le Cantique des cantiques de la fièvre, la dic-