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la France ! Le soir, on dansait au cabaret jusqu’au matin. On rentrait la tête un peu lourde parfois, mais quelques mois après on n’en partait pas moins gaiement pour le régiment, pour la France et pour la gloire !

Dix ans après, le décor est le même ; la grande rue du village s’allonge, droite et blanche, au pied des Vosges sombres, mais bien des maisons sont fermées et commencent à tomber lentement en ruines. De rares jeunes gens s’acheminent vers la mairie. Ils sont soucieux et ne chantent plus. Des flots de rubans, qui ne sont plus tricolores, flottent encore à leurs chapeaux, car la coutume le veut ainsi. Les fenêtres ne s’ouvrent plus comme jadis. Ils se sentent esseulés et pensent à leurs frères, à leurs parents, à leurs amis qui ont tout quitté pour venir en France et pour aller combattre au loin sous le soleil de feu des tropiques. Ils passent tête basse devant le gendarme prussien, dont la morgue inquisitoriale leur jette en passant un muet Væ victis.