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LE DIABLE AU CORPS.


pas sans besoin, ou Dieu me damne. » C’est de cette galante maniere que cédait à l’invitation, le Sieur Tapageau, sergent chassé des Gardes-françaises, pour de petites gentillesses qu’on n’y tolere point ; homme de ressource d’ailleurs ; batteur de buissons pour le gibier dont la matrône fait commerce ; recruteur de dupes ; redresseur de torts ; utile pour certains coups de main, et, pardessus le marché, possesseur en chef du reste de charmes qu’avait encore, à 45 ans, la chaude commere, très-desirable dans son jeune tems.

On avait déja bu deux coups en silence, quand elle, enfin, le rompt en frappant de son gobelet sur la table, et disant : « Eh, foutre ! verse-m’en. À quoi bon, après tout, se désespérer pour un malheur qu’il n’est plus tems de réparer !… Viens ça, mon gueux[1], mets-le moi pour me

  1. Il ne faut pas que le ton grossier qu’on voit dans ce moment à la commere Couplet, fasse croire au lecteur que cette femme était absolument de la classe de la canaille. Tour-à-tour entremetteuse, marchande de modes et catin, elle savait, en faveur du premier métier, jouer, au besoin, toutes sortes de rôles, et déployer plus ou moins de belles manieres et de savoir-vivre, puisqu’il s’agissait de pénétrer chez les gens de marque, pour recevoir leurs ordres ; chez les plus grandes Dames, pour arranger leurs parties, servir leurs goûts et leurs caprices ; chez le bourgeois, chez l’artisan, pour corrompre leurs hommes et leurs filles. Dans sa boutique de modes, M.me Couplet était insinuante, flatteuse, éloquente, montrait une complaisance sans bornes et jouait le plus noble désintéressement. Comme coquine, enfin, elle était tout ce qu’il fallait être, selon l’homme qu’elle