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LE DIABLE AU CORPS.


maîtresse, les arrache, dans le plus beau moment, à leur propre intérêt. — Chut !… écoutons, justes Dieux ! — Madame la Marquise serait-elle à l’agonie !… Se débattrait-elle contre la mort ! — Ils se rajustent en frémissant… prêtent l’oreille… retiennent leur haleine… Ouvriront-ils ? À quoi bon, hélas ! s’assurer trop tôt de ce qui doit combler leur affliction ! Faut-il voir leur chere bienfaitrice rendre l’ame[1] ! Mais comment une agitation si vive !… des mouvemens si réguliers ! — Se pourrait-il ? (Belamour entr’ouvre.) — Ô l’horreur ! vois ma Nicole ! Je le soupçonnais et ne m’abusais donc pas ! — Au même instant ils se jettent dans la chambre, chacun s’empare d’un côté du lit sacrilégement profané ; tous deux se ruent, comme des lions, sur l’infernal Capucin : les coups de poing pleuvent avec

  1. Bienfaitrice ne signifie point ici que la Marquise eût fait un testament dans lequel ces braves domestiques fussent avantageusement traités. Non, l’idée de proposer à leur maîtresse de mettre ordre à ses affaires (ce qui aurait été l’avertir de songer à les récompenser) ne leur était pas seulement venue. Le désintéressement est une branche de la vraie amitié, vertu qui n’est pas incompatible avec quelques penchans libertins. Rarement une gouvernante de Chanoine, fort pudibonde ; un valet de chambre de vieille Comtesse, fort dévot, négligent l’occasion d’une fievre ou d’un rhume ; le notaire est aussi-tôt averti, Les fideles domestiques de notre malade l’aimaient assez pour se persuader qu’elle ne mourrait point ; du moins, l’idée de devoir à ce malheur le moindre avantage, ne les avait point avilis. (Note du Docteur.)