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LE DIABLE AU CORPS.


si elle quitte prise pour un moment, ce n’est qu’en demeurant maîtresse du rebelle boute-joie, et pour dire du ton le plus vif : —


Ne vous jouez pas à me contrarier, Belamour, je suis femme à le trancher net entre mes dents s’il essaie de tromper ma fantaisie…

                  (Vîte elle se remet à sa besogne, toujours à genoux : Belamour debout, s’appuie des deux mains contre la boiserie. Pendant qu’on le travaille, il tourne çà et là la tête avec l’expression de la gêne et presque du dépit. Mais c’est ce que l’exaltée fellatrice[1] n’est point à portée d’observer. Bientôt pourtant ce singulier et lubrique moyen a son premier effet. Belamour est ému, laisse descendre ses regards sur la capricieuse Comtesse, ne réfléchit pas, sans un sentiment avantageux pour elle, à ce que le transport dont elle fait preuve a d’obligeant. L’amour-propre flatté, l’effervescence du sang, la vision agaçante d’un sein de neige palpitant, sur lequel planent les yeux ; les accens du plaisir, l’électricité sensuelle ; en un mot, tout concourt à la fois à séduire Belamour. La volupté le gagne insensiblement, elle circule de veine en veine, croît et va devenir extrême. Cette jouissance est d’autant plus délicieuse, qu’elle a d’abord été contrariée, et qu’elle est filée lentement. Il sent enfin que les écluses de la vie vont s’ouvrir, et croit qu’à ce terme du moins on va lui permettre la retraite ; mais au plus léger mouvement, les ciseaux d’ivoire se font sentir, et l’avertissent qu’il est dangereux pour lui

  1. Fellator, en latin, celui, et fellatrix, celle qui applique sa bouche à la partie sexuelle d’un objet desiré. Mart., épig. Horace.