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tenait en six lignes tout ce que l’amour peut dicter de plus passionné. Il n’y manquait que ce serment d’une ardeur éternelle que pour la première fois de ma vie j’avais le bonheur de ne pas rencontrer dans un écrit amoureux, ce qui mit le comble à la bonne opinion que j’avais de mon amant. Je griffonnai tout de suite ce qui suit : « Que répondrai-je à votre charmant billet que mes yeux ne vous aient déjà cent fois répété ? Oui, chevalier, j’accepte avec transport le don que vous me faites et je ne pourrai vous prouver assez tôt à mon gré que je suis toute à vous ». Cela fut remis sans que ma tante s’en aperçût ; et, presque aussitôt, pendant un moment qu’elle passa dans un cabinet, le chevalier eut encore le temps de me prier de permettre qu’au lieu de sortir de la maison il se glissât dans ma chambre et dans une armoire qu’il avait remarquée, où je viendrais aussitôt après l’enfermer. Je ne pouvais plus lui rien refuser : j’étais ensorcelée.

Cependant une envie qui prit tout à coup Sylvina d’aller juger une pièce nouvelle faillit faire échouer notre charmant projet ; mais l’ingénieux d’Aiglemont fit naître un prétexte pour ne pas nous accompagner. Son grand négligé n’était pas une excuse, puisque Sylvina elle-même ne s’habillait pas et n’allait qu’en loge grillée ; mais il supposa tout de suite un rendez-vous indispensable, qui l’obligeait d’aller promptement faire un bout de toilette. Puis, saisissant le moment où la femme de chambre passait une petite robe à Sylvina, il n’eut pas de peine à s’introduire chez moi et dans l’armoire qui n’était pas absolument incommode. Je le suivis ; cependant je répugnais à l’emprisonner ainsi ! Je craignais qu’il ne manquât d’air et n’étouffât. Mais il aimait trop pour entrer dans mes vues timides ; le désir lui fit trouver mille expressions propres à me rassurer. Quelques baisers tels que je n’en avais jamais reçus ni donnés furent l’heureux prélude des délices que nous nous ménagions pour la nuit… Je l’enfermai.

Je maudis de bien bon cœur l’éternité du spectacle. J’étais furieuse que la pièce eût réussi ; il manquait à mon malheur