Page:Nerciat - Félicia.djvu/60

Cette page a été validée par deux contributeurs.


CHAPITRE XIX


Où l’on voit ce qui n’arriva pas. — Songe.


À combien de grands événements notre situation peu commune aurait-elle pu donner lieu, si nous avions été les uns ou les autres sujets à ces transports au cerveau, qu’heureusement les gens du monde ne connaissent plus ! combien de vengeances, de trahisons, de malheurs occasionnés par le choc de tant de passions qui se contrariaient mutuellement ! Une femme trahie, justement irritée contre un ingrat, ne pouvait-elle pas l’accabler des plus sanglants reproches ; se venger par le fer, le poison, et finir peut-être par se poignarder ! Un prélat offensé par une infidèle que ses bontés n’avaient pu fixer, par un neveu téméraire qui lui manquait d’égards, et par une enfant qui, après certaines particularités, était censée lui appartenir, ne pouvait-il pas humilier l’une, faire enfermer l’autre, sous prétexte de son inconduite, et se procurer la dernière par mille moyens, surtout familiers aux gens de son état ? Ma tante, indignée de la préférence qu’on me donnait, ne pouvait-elle pas me renvoyer, me réduire au cruel pis-aller de recourir dans mon désastre à monseigneur, qui avait à se plaindre de moi ? D’Aiglemont, enfin, me perdant, outré contre son oncle, obsédé par Sylvina, ou coffré, ne se trouvait-il pas dans le cas de commettre les plus indignes extravagances ? Heureusement que rien de tout cela n’arriva : monseigneur, avant de se séparer de sa nouvelle conquête, savait à quoi s’en tenir pour le lendemain ; Sylvina, à qui le chevalier s’était offert pour je ne sais quelle commission, le pria de vouloir bien s’en souvenir, c’est-à-dire de ne pas négliger l’occasion qu’on lui fournissait de revenir bientôt à la maison. Cette disposition me convenait tout à fait, je ne doutai pas qu’à son retour l’aimable chevalier ne trouvât le