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je me retirais dans une pièce voisine. Curieuse un jour de savoir à quoi pouvaient s’occuper, avec tant de mystère, ma tante et le modeste Béatin, je vins heureusement à détourner un petit morceau de fer qui bouchait de mon côté le trou de la serrure, et je fus transportée de voir mes gens aussi distinctement que si j’eusse été dans la même chambre… Mais quelle fut ma surprise ! Le vénérable docteur, aux genoux de sa pénitente, avait le teint animé, l’œil étincelant… en tout, une physionomie absolument différente de celle que je lui avais connue jusqu’alors. Je crus rêver quand je le vis baiser avec passion une main qu’on lui abandonnait à peu près volontiers. Il demandait très instamment… je ne savais pas quoi ; mais sa harangue, qui paraissait fort vive, était accompagnée de gestes encore plus pressants ; il glissait une main hardie sous le fichu…, l’autre encore plus insolente se fourra brusquement… plus bas.

— Monstre ! s’écria tout à coup un homme qui sortit de l’alcôve, furieux et tirant l’épée ; c’est pousser trop loin l’infamie et abuser trop indignement de sa crédulité. Tu vas périr, scélérat !

Un éclair de rage partit des yeux du Tartufe, mais il ne laissa pas de se contraindre ! la belle pénitente avait déjà perdu l’usage de ses sens. Le terrible trouble-fête était un nommé Lambert, sculpteur, intime de Sylvino, courtisan assidu de ma tante, et l’un de ceux à qui Béatin faisait défendre la porte le plus sévèrement. Lambert, ce jour-là, s’était introduit, je ne sais comment, dans la maison ; cependant l’évanouissement de Sylvina sauva le docteur ; un homme délicat est plus pressé de secourir sa maîtresse que de tuer un rival. Mais Lambert, en donnant des soins à son amie, ne laissait pas d’enjoindre au traître, en termes fort cavaliers, de se retirer au plus vite. Celui-ci voulait disputer la place : alors deux larges soufflets détachés avec vigueur sur ses joues potelées lui firent sentir la nécessité de ne point opposer ses faibles raisons à qui en avait d’aussi convaincantes.