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crut augmenter ma satisfaction. Je rougis, au contraire, de penser que pendant que milord me faisait des dons aussi magnifiques, je me rendais coupable envers lui de l’infidélité la plus réfléchie. Je fus au moment de lui renvoyer la somme et de commettre l’insigne faute de lui avouer mon nouveau choix. J’eus cependant le bon sens de ne point céder à cette tentation bizarre, et je fis bien. Il m’en prit une autre qui ne tendait pas à d’aussi dangereuses conséquences et à laquelle je ne résistai point. Ce fut de faire passer les mille louis au marquis avec plus de mystère, je le savais à l’étroit. Ses gens avaient eu l’indiscrétion de dire aux miens que leur maître devait et négligeait depuis quelque temps la plupart des maisons qu’il fréquentait précédemment, faute de pouvoir continuer d’y jouer : il perdait toujours. Ce fut le prétexte que je saisis, et, contrefaisant avec art mon écriture, qui lui était connue, je lui mandai qu’une personne qui regrettait de le voir devenir plus rare dans leur société supposait que c’était la constance de son malheur au jeu qui l’éloignait ainsi, qu’en conséquence, on le priait de reparaître et de se servir de la somme jointe à la lettre comme d’une ressource dont on partagerait par la suite le bon ou le mauvais succès, se réservant de se faire connaître avec le temps. On exigeait pour le moment que le marquis ne fît aucune démarche pour découvrir qui pouvait lui rendre ce léger service, qu’on lui permettait seulement d’attribuer au plus vif et au plus solide attachement.

Le lendemain, cet amant délicat, usant d’un stratagème imité du mien, et auquel le tirage d’une loterie donnait lieu, le marquis, dis-je, m’écrivit le lendemain qu’ayant pris quelques billets avec intention que nous fussions de moitié, il avait eu le bonheur de gagner le gros lot de mille louis et qu’en conséquence il me priait d’agréer les cinq cents qui m’appartenaient. Cette tournure ingénieuse me mit d’autant plus dans l’impossibilité de refuser qu’il avait pris toutes les mesures nécessaires pour soutenir, avec une parfaite vraisemblance, son mensonge galant.