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premier me mandait d’un style froid, qui me déplut excessivement, que des affaires indispensables le priveraient du plaisir de me voir pendant le cours de la journée, comme il me l’avait promis ; il ne disait pas quand il viendrait s’acquitter de sa parole ; j’en eus un dépit qui m’indisposa davantage contre le téméraire danseur. Je faillis faire jeter au feu son billet ; cependant je fus curieuse d’en savoir le contenu… Dieu ! quel nouveau sujet de douleur ! « Je suis au désespoir, belle Félicia, m’écrivait l’insolent, je suis un monstre, abhorrez-moi, je le mérite… mais vous étiez si belle !… et j’étais si amoureux !… songez à votre santé… Je vous venge en m’imposant un exil involontaire : je quitte Paris, résolu de mourir loin de vous, de mes maux invétérés et de mes remords non moins funestes. »

Ma rage ne peut se décrire. J’effrayai tout le monde de mes transports et de mes imprécations. Cependant, après le premier essai de mes fureurs, je pris un parti sage, et mettant la seule Thérèse dans ma confidence, je la chargeai de m’amener un docteur dont j’avais ouï vanter les talents et qui m’agréait d’autant plus qu’humain et tout à son art, il dédaignait d’en imposer par ce verbiage effronté, par ce luxe ridicule à l’abri desquels nos charlatans à la mode signalent impunément leur ignorance et leur cruauté.

L’Esculape accourut. Très humblement je le mis au fait. Il ne chercha point à me flatter ; mais il m’ordonna des remèdes, un régime, insistant surtout sur la nécessité d’être sage. Ce fut bien à regret que je le promis. Dans la première fureur de mon goût pour le marquis, j’avais peine à satisfaire de chères espérances. Ce temps que j’allais perdre me semblait une éternité…

Cependant l’honnête docteur ne tarda pas à me rassurer : il avait su prévenir les accidents, je n’avais plus rien à craindre. Le marquis venait de temps en temps chez moi ; mais dès les premiers jours il m’avait désolée en m’apprenant que, retenu à Paris par des affaires importantes, il brûlait de retourner en province, auprès d’une dame dont il était passionnément amoureux et qui lui accordait du