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Nous attendions assez tranquillement cet homme si vanté.

Cependant un après midi, comme nous sortions de table, on annonça les lords Kinston et Bentley. — Bentley ? milord Bentley ? répétons-nous toutes deux en même temps. Ces messieurs paraissent. Milord Bentley était ce seigneur anglais dont il est parlé dans la première partie de ces mémoires, et qui avait emmené Sylvino en Italie. À l’aspect de Bentley, nous sommes frappées comme d’un coup de foudre. Il recule, non moins surpris, en nous reconnaissant ; puis il détourne la vue, et se penchant sur l’épaule de son ami, nous lui voyons répandre un torrent de larmes.

« Ah ! milord, s’écrie aussitôt Sylvina, prévoyant comme moi que les larmes du sensible Anglais annonçaient quelque chose de funeste, milord, qu’avez-vous fait de mon cher Sylvino ? Grands dieux ! l’aurais-je perdu ?… Vous vous taisez !… Sylvino, mon cher époux, tu n’es donc plus ? »

Des sanglots douloureux suffoquaient milord Bentley. Il s’assit loin de nous, Sylvina s’évanouit dans mes bras. Le gros Kinston se trouvait dans un fâcheux embarras. Mais c’était uniquement sa faute ; à la vérité, Sylvina s’était fait passer pour veuve. Il ignorait qu’elle ne le fût pas : cependant, s’il n’eût pas fait, très inutilement, un mystère de nos noms à milord Bentley, et à nous de celui de son ami, il aurait prévenu le coup dont nous étions tous assommés ; j’eus à peine assez de force et de présence d’esprit pour le mettre au fait.

Sylvina, quoique légère et livrée absolument à ses plaisirs, avait néanmoins un grands fonds de tendresse pour son mari. Il avait négligé depuis longtemps de se rappeler à notre souvenir, et j’avoue de bonne foi que nous songions rarement à lui ; mais nous lui avions de si grandes obligations, il avait été si bon ami, si bon mari, que sa perte était pour nous le plus grand des malheurs.

Le pauvre homme avait fini misérablement. Voici ce que milord Bentley nous raconta : Sylvino, peu de temps avant de revenir de son premier voyage, avait allumé la plus vio-