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connaisseur, priait qu’on lui laissât le soin de faire cette emplette. En un mot, tout ce que les fées peuvent opérer par leur baguette enchanteresse, milord en venait à bout avec son argent. Je voyais tout le plaisir que ces charmants projets causaient à Sylvina. Je les trouvais moi-même fort de mon goût. Peut-on être femme et ne pas aimer la magnificence ?

Bientôt nous jouîmes de tout ce que milord Kinston nous avait annoncé. Nous laissâmes au comte, toujours infirme, notre logement avec nos meubles, et fûmes prendre possession de notre nouvel hôtel. Loin que rien y manquât, nous fûmes au contraire un peu honteuses de la prodigalité de milord. Chaque jour nous voyions arriver de sa part de nouveaux dons, de nouvelles superfluités. À peine nous laissait-il le plaisir de les désirer. Aidé dans l’exécution de ses idées de faste par Mme  Dorville, qui se mêlait des emplettes autant par curiosité de femme que par attachement pour nous, il achetait toujours parfaitement bien. J’épargne au lecteur des descriptions fatigantes. Qu’il imagine tout d’un coup le plus grand train, la meilleure table, le nec plus ultra de l’aisance et de l’élégance, il aura une idée de notre situation. Tout cela avait surtout un grand air de décence, parce que nous n’avions jamais été sur le ton de femmes du monde ; que Sylvina était connue précédemment pour avoir de la fortune, et que nous affections d’ailleurs, dans la manière d’être mises et de paraître en public, une honnêteté qui nous séparait absolument de la classe des femmes entretenues.

Milord Kinston, au goût près de quelques grossiers plaisirs, était un homme admirable. Il avait peu d’esprit, mais un sens solide, de la dignité, et surtout un usage consommé du monde. En un mot, dire que milord Sydney, infiniment supérieur à tous égards, le trouvait digne d’être son ami, c’est faire assez son éloge. Sylvina s’apprivoisait à merveille avec lui, et c’était si naturellement qu’elle le traitait on ne peut mieux que j’étais tentée de croire que, malgré son lard, il était parvenu à se faire adorer tout de