Page:Nerciat - Félicia.djvu/256

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

amants, pourvu qu’ils fussent aimables et bons à voir ; on sait bien qu’une femme qui aime le plaisir n’en aurait pas assez avec un homme tel que moi ; je trouverais donc tout très bon, pourvu que je ne visse rien ; je ne serais pas jaloux, mais je voudrais être ménagé. En un mot, je pense sur l’infidélité comme on pensait sur le vol à Lacédémone. Vu surplus, j’aime à répandre l’or ; je mépriserais une maîtresse dont le génie étroit n’imaginerait pas mille moyens d’en dépenser ; je… — Mais, milord, vous dites là, sans vous en apercevoir, que vous êtes le plus aimable des hommes, et cela n’est pas modeste. — Ah ! parbleu, belle dame, répliqua le gros Kinston souriant et peint du vermillon du désir, il ne tiendra qu’à vous de me mettre à l’épreuve. Pour vous, surtout, il n’y a rien à rabattre de ce que je viens d’avancer… mais à propos, en supposant que cela pût s’arranger, que dirait certain prélat ? — Oh ! rien du tout. Je vous l’assure. Je viens de le tenir un peu longtemps en esclavage, il n’y demeurait que par bon procédé. Et sur la fin je ne pouvais me dissimuler son ennui… — Brava, cara : rendez-moi ce galant homme à la société et souffrez que je le remplace. Cela vaudra d’autant mieux que l’ami Sydney a d’excellentes intentions pour la belle nièce. Nous ferons maison anglaise : ce sera la meilleure affaire de ce genre que j’aurai conclue de ma vie. — Sylvina ne disait ni oui, ni non, mais il était visible qu’elle pensait oui. Je vis l’instant où le gros milord, qui la devinait aussi bien que moi, allait bondir de joie ; heureusement il n’en fit que la démonstration : il prit pour arrhes quelques baisers, puis gaillard, épanoui, sémillant, il nous quitta, presque avec la légèreté d’un Français petit maître, en assurant que nous ne tarderions pas à le revoir.

— Mais je suis folle, me dit Sylvina quand il fut sorti. — Pas tant, pas tant. — Comment, je vais m’affubler de ce gros amant… — Quoi ! déjà vous vous repentez ! Cependant vous connaissez milord Kinston, il ne vous vendait pas chat en poche, et d’ailleurs il ne disait tout à l’heure que des choses vagues. — D’accord, mais il