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assorti ; ma naissance ranimait du moins l’espoir de la propagation de son nom. Je devenais un héritier précieux. Tous les biens des parents de ma mère devaient un jour être réunis sur ma tête ; mais de si belles espérances furent bientôt détruites. Mon grand-père essuya d’énormes banqueroutes qui altérèrent son crédit, quelques paiements retardés effrayant ses correspondants, il fut soupçonné, discuté et ruiné ; tout cela fut très prompt.

« Ma mère était à la campagne. Mon père allait l’y rejoindre, déplorer avec elle la perte de ses biens, et l’assurer que si elle voulait se conformer à ce que les circonstances allaient désormais exiger, il la chérirait également et ne la rendrait pas moins heureuse… Mais quel désespoir pour ce galant homme ! Il était minuit ; il n’avait point annoncé son arrivée… Il vole à l’appartement de sa femme… Elle dormait dans les bras de son nègre. Mon père, furieux, perce l’infidèle de plusieurs coups d’épée, l’Africain se précipite, échappe à la mort, donne l’alarme. Mon père, à peine regardé comme le maître, se voit bientôt environné de ses propres gens armés contre lui. Un seul valet de chambre, ancien compagnon de ses travaux militaires et digne, par son courage, de servir le plus brave des maîtres, se joint à lui. Ils défont sans peine leurs lâches agresseurs, puis s’enfuient, emportant quelque argent et les diamants de ma coupable mère.

« Cependant, cette affaire devint publique et prit la plus odieuse tournure. Il ne fut pas fait mention du nègre surpris au lit : on accusa mon père de s’être vengé, par un infâme assassinat, d’avoir vu échouer de grandes vues d’intérêt… Pardon, madame, souffrez que je m’interrompe un moment… Mon imagination ne peut s’arrêter sans horreur sur tant d’injustices… Se peut-il que le Ciel ne se charge pas de la vengeance de certains crimes, quand l’impuissance des hommes… — Hélas ! mon cher comte, lui dis-je, le Ciel se mêle on ne peut moins de nos misérables affaires, mais… — Il ne m’écoutait pas. Sa tête était penchée sur sa poitrine. Il demeura quelque temps plongé dans une rêverie