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du portrait. Il me priait de m’informer si l’original de cette peinture existait encore ; en quel lieu ? et par quel hasard elle se trouvait entre les mains de notre infortuné. Enfin, qui il était lui-même ? Il mandait au sujet de Monrose les choses les plus flatteuses ; que ce charmant jeune homme, propre à tout et plein de bonne volonté, lui donnait toute la satisfaction imaginable ; qu’il plaisait universellement et se conduisait avec beaucoup plus de sagesse qu’on ne devait l’espérer de son âge et de la vivacité de ses passions. — Je sais, belle Félicia, m’ajoutait Sydney dans une de ses lettres, que si j’ai été assez heureux pour amuser quelques instants tes sens, ce règne usurpé sur ton printemps par mon automne doit être fini sans retour ; mais l’estime et l’amitié, ces sentiments délicieux qui confondent tous les âges ; ces fruits exquis que n’engendrent pas toujours la fleur fragile de l’amour, vont former entre nous des liens bien plus solides et non moins heureux, etc.

— Je vous entends, milord, lui répondis-je à peu près. Vous aviez besoin d’aimer, il vous a paru que je vous convenais ; mais ce portrait… certaines espérances vagues… rien de plus juste. Je vous rends à votre chimère ; puisse-t-elle faire un jour votre bonheur, personne ne le partagera plus sincèrement que moi ! Autrement, songez que je serai toujours la même. Il n’y a dans un cœur tendre qu’un espace imperceptible entre les sentiments dont vous parlez et l’amour… Vous êtes musicien, vous entendrez une comparaison musicale. Je ne suis pas un de ces instruments bernés, sur lesquels on peut moduler sans changer l’accord. Je suis montée à la convenance de tous les tons et formée précisément pour les transitions. Mais je ne me laisse toucher que par d’habiles maîtres. Vous savez, milord, qu’entre vos mains je ne fais pas cacophonie ? Vous l’éprouverez encore quand et aussi longtemps qu’il pourra vous plaire. Adieu.

Mais on va m’accabler d’injures ? me traiter de folle et d’effrontée ? Que m’importe. Je l’ai déjà dit ailleurs, mon bonheur me venge du blâme et du mépris des rigoristes, et