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CHAPITRE XXII


Dont la plus grande partie peint des caprices
qui ne sont pas du goût de tout le monde.


J’allais tous les jours au délicieux labyrinthe avec sir Sydney, qui ne se rendait pas moins cher à mon esprit par les charmes du sien qu’à mes sens par la vivacité et la suite de ses transports amoureux. Plus nous vivions ensemble, plus nous nous attachions l’un à l’autre. Les rapports croissaient, la disproportion des âges disparaissait ; en un mot, nous étions parfaitement heureux de nous aimer. Il m’avouait que désespérant, avant de me connaître, de devenir jamais heureux, je le guérissais néanmoins de la sombre mélancolie. Je lui prouvais, en effet, par des raisonnements assez justes, qu’il reste des ressources dans les situations les plus cruelles, dès qu’on a pu sauver du premier moment du malheur sa raison et sa santé. Quant à la passion que sir Sydney me témoignait, j’avais grand soin d’y donner des entraves, en répétant sans cesse que je ne pouvais agréer ni rendre un amour exclusif. Cependant, malgré ma façon de penser bizarre, je ne laissai pas de prendre un grand ascendant sur l’esprit de sir Sydney, qui s’y accoutumait et manquait d’arguments pour la combattre. Mais le système de la pluralité des goûts n’est-il pas autant à l’avantage des hommes qu’au nôtre ? Heureusement il devient à la mode. En vain, quelques philosophes de mauvaise humeur, entichés d’un reste de morale du vieux Platon, traitent-ils de fous, de dépravés ceux qui embrassent la nouvelle secte. Ces heureux prosélytes me semblent au contraire les seuls philosophes, et leurs détracteurs ne font que radoter : laissons-les blâmer, gémir, et jouissons.

On se souvient que d’Aiglemont me soupçonnait d’être le lutin qui l’avait claqué la nuit. J’en convins quand nous