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des acceptions bien différentes. Je vais prévenir en deux mots tous les faux raisonnements dans lesquels nous pourrions nous engager et qui nous éloigneraient de notre but. — Je n’en ai point d’autres, chère Félicia, que de tâcher de vous plaire, en me conformant à tout ce que vous pourrez exiger de moi. — Eh bien ! sir, faites-moi la grâce de m’écouter. Vous m’aimez, dites-vous, j’en suis enchantée. Me demandez-vous si je suis sensible à votre tendresse ? Je vous dirai de tout mon cœur : oui. Si je regarde la disproportion de nos âges comme un obstacle au retour que vous êtes fait pour vous promettre ? Non. Il n’est pas question d’âge quand on est ce que vous êtes et que l’on pense comme je fais. Si j’aime d’Aiglemont ? Si j’en suis aimée ? Oui, sir, nous nous aimons commodément, comme vous et moi pourrions bientôt aussi nous aimer ; comme je ne trouve pas mauvais à certains égards que d’Aiglemont aime d’autres femmes, comme il vous sera permis d’en faire autant… en un mot, sir Sydney, ne me demandez aucun sentiment exclusif, ne m’en offrez aucun, et nous allons être d’accord. Je ne vous cache point que si votre façon de penser et d’aimer peut s’accommoder de mon système, dont j’avoue la bizarrerie, je suis prête à vous témoigner combien votre conquête me flatte, combien vous êtes éloigné de me paraître disproportionné et peu fait pour aspirer au faible bonheur de m’intéresser… Vous souriez, sir Sydney ? — Pardonnez, charmante philosophe, vous m’étonnez et vous m’enchantez également par des raisonnements auxquels on ne devrait guère s’attendre de la part d’une Française de seize ans… — Voilà, sir, une injure anglaise. Vous semble-t-il donc que femme française et jeune soient des titres qui excluent la faculté de penser et de raisonner ? Apprenez que partout notre sexe penserait, et même très juste, si l’on n’y mettait la plupart du temps obstacle, par une mauvaise éducation, à laquelle j’ai eu le bonheur d’échapper. Mais c’est assez raisonné, mon cher Sydney, retournez sur vous-même et voyez s’il est possible que vous ne soyez point aimé d’une femme tendre qui vous doit la vie et qui vous