Page:Nerciat - Félicia.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous le tînmes auprès de nous, gardé, pour ainsi dire, à vue, pendant près d’un mois, n’allant que furtivement au spectacle ou choisissant quelques promenades écartées ; évitant surtout de rencontrer nos connaissances, qui n’auraient pas manqué de venir nous voir et de nous rejeter plus tôt que nous ne voulions dans le tourbillon bruyant des sociétés. Le chevalier Sydney était la seule personne que nous vissions. Il devait être bien étonné de notre retenue, sachant que nous étions des femmes de plaisir. Il était surtout bien éloigné d’imaginer qu’un enfant pût être la cause de notre réforme apparente.

Sydney commençait à nous accorder beaucoup de confiance ; mes talents le captivaient, nous lui devenions nécessaires, il ne nous quittait presque plus. Mais je retrouvais toujours dans ses yeux cet intérêt triste qui m’avait frappée dès le premier instant. Je ne pouvais douter de son amour. Je voyais clairement que sans la différence des âges, il n’aurait pas hésité de se déclarer. Cette disproportion seule m’en imposait un peu. Cependant je m’interrogeais. Loin d’avoir de la répugnance pour ce respectable Anglais, je me sentais plutôt prévenue en sa faveur. J’aimais Monrose, mais il y avait plus de caprice et de vanité que de passion dans mes sentiments pour lui. Je ne m’attendais pas à de grandes ressources d’aucune espèce de la part d’un amant si jeune et si neuf. En un mot, ni l’une ni l’autre de ces conquêtes ne me semblait capable de me dédommager du charmant d’Aiglemont ; mais nous étions séparés, et pour l’amour, les absents eurent toujours tort avec moi. Je pris donc mon parti. Je résolus de prendre le chevalier et Monrose ; rien ne me paraissait plus compatible ; et, en effet, j’avais très bien calculé.