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tour et si la fatalité de mon étoile ne m’avait pas fait trouver dans leur attachement même le plus insupportable supplice.

« Il y a six mois environ que le besoin de m’attacher à quelqu’un me fit distinguer un de mes camarades, à qui de brillants succès dans les études avaient mérité la faveur de tous nos supérieurs. Je me sentais beaucoup d’estime et d’amitié pour Carvel, c’est ainsi que se nommait l’écolier ; et je me proposais d’apprendre de ce jeune homme, si bien venu, l’art d’adoucir les tigres qui, jusque-là, n’avaient cessé de me déchirer. En effet, le désir que je témoignais de me lier avec Carvel sembla me ramener le principal : il parut voir avec plaisir notre bonne intelligence. Nous étions de la même classe ; je partageai bientôt avec lui les bonnes grâces du régent, et je crus un moment que j’allais cesser d’être malheureux ; mais bientôt certaines ouvertures de la part de mon nouvel ami et certaines démarches de celle du régent m’alarmèrent. Je voyais un grand mystère, on me louait, on me caressait ; je pressentis qu’il se tramait quelque chose contre moi. Je découvris bientôt que Carvel devait une partie de sa faveur à des manières de faire sa cour, dans lesquelles je me sentais incapable de l’imiter…

« Mes doutes devinrent enfin des certitudes : notre régent était l’intime ami du principal, Carvel l’était de tous deux. On fermait assez les yeux sur notre conduite pour que nous trouvassions le moyen de coucher souvent ensemble. Carvel, libertin et plus âgé que moi, devenait familier, m’apprenait des polissonneries que je saisissais assez bien et auxquelles je prenais une sorte de goût. Mais je vois, mesdames, que mon ingénuité me nuit : vous vous moquez de moi ? (Nous souriions en effet.) — Non, mon bel ami, répondit Sylvina, vous nous intéressez, vous nous amusez, vous êtes charmant. Poursuivez. — Insensiblement, il poussa plus loin le zèle de ses leçons… Une nuit, enfin, il me vanta fort éloquemment l’excellence de certains plaisirs… Mais l’image seule me causait d’abord une répugnance affreuse… En vain, il voulut essayer de me faire goûter le