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rompu la voix, voilà qui est très bien, mais c’est assez de ces gentillesses ; dis-moi par quel heureux hasard… — Le hasard n’eut point de part à mon choix, il fut forcé dès que je vis sa prunelle plus éclatante que l’étoile du matin. — Ah ! ah ! monsieur Saint-Jean, vous faites votre agréable ! où donc avez-vous puisé tant d’esprit ? — Personne n’en a comme elle. Phébus, jaloux de ses moindres paroles, se couvre d’un nuage pâle dès qu’elle ouvre la bouche… Adorable épouse ! divine Cloé… » — Laisse-moi rire, mon d’Aiglemont, dis-je à l’aimable fou, dont le poids délicieux gênait le jeu de ma poitrine, je n’y tiens plus : le soleil qui s’obscurcit, le temps qui se couvre, dès que Cloé se met à parler ! Cela est trop extravagant… mais que veux-tu faire ? oui, je sens que tu es désenchanté ; à la bonne heure ; cependant, pour ta pénitence, tu patienteras jusqu’à ce que tu m’aies achevé ton récit, nous verrons après ; sois sage et conte.

« — Mis au fait par l’apostrophe d’Éléonore à Saint-Jean, tu penses bien que je me suis mis à mon aise. J’ai profité de la première invitation, qui est encore échappée à la belle, pour courir à son lit, disant : Qu’entends-je ? Elle est déjà sous ce berceau de chèvrefeuille ! les sons de sa voix mélodieuse ont frappé mon oreille !… Ah ! chère épouse !… C’est toi !… C’est elle-même… Hélas ! après une si longue absence… tes bras se refusent à ceux d’un époux chéri !… amour, ô hyménée ! venez éclairer de vos brillants flambeaux les yeux de Cloé, qui méconnaissent le plus tendre des époux.

« Soit qu’Éléonore ait eu l’esprit assez présent pour sentir tout le parti qu’on peut tirer d’un somnambule, soit qu’un tempérament dominant ne lui ait pas permis de refuser une occasion, peut-être dangereuse, elle n’a fait aucun effort pour m’empêcher de partager son lit. Cependant il n’était plus possible qu’elle me prît pour Saint-Jean, dont elle doit sans doute connaître la voix. Je ne déguisais point la mienne. J’ai fait les choses en galant homme ; et ne voulant pas mettre la belle à mal sans être assuré de son par-